dimanche 21 février 2010

Flannerie à Istanbul (1/3)


Nous sommes rentrés hier d’Istanbul, je suis fatigué, nous avons parcouru la vieille ville dans tous les sens, nous avons croisé des visages, beaucoup de visages d’hommes, nous y avons croisé la ville aussi, vu des façades d’immeubles, souvent délabrées, autant d’histoires. Aujourd’hui, de retour à la maison, je récupère. Dans mon bain ce matin j’étais tout chose, fébrile, encore troublé, saisi d’une forme de tremblement infime, celui-là même que je ressens quand je suis très excité, quand je suis au bord du malaise, du malaise amoureux. Ça me fait toujours un peu peur, j’ai le sentiment de toucher mes limites, d’être presque malade. Nous ne sommes restés que quelques jours, malgré nos cheminements, malgré les magistrales mosquées, les mosaïques d’Hagia Sophia, malgré l’or du palais Topkapi Sarayi, les céramiques, les restaurants, il me semble que nous n’avons rien vu, que nous n’avons pas regardé les bonnes choses, que nous sommes passés à côté. Il y a bien eu ces deux ou trois sourires. Deux ou trois Lumières...

Un sourire qui voulait dire prend moi, prend tout, je suis à toi.


Ah putain oui il y a eu ce sourire, il avait 16 ou 18 ans, nous nous sommes regardés. Immédiatement, j’ai eu envie de lui, j’ai eu envie de le prendre dans mes bras, sur mes genoux comme un enfant. En une fraction de seconde tout un monde est passé dans ce regard, les nuits et les jours se sont suspendus, la terre aussi s’est arrêtée. Il m’a souri. Il m’a souri comme jamais. Un sourire qui voulait dire prend moi, prend tout, je suis à toi. Un peu comme la vie qui défile dans les derniers moments d’un mourant, j’ai pesé, à la va-vite, comme ça, les pour, les contres, et les contraires. Il ne s’agissait pas d’un plan cul là, mais peut-être d’une raison de vivre… Raisonnable j’ai été. Raisonnable, je n’ai rien lâché. Raisonnable, mais presque mort.

Après avoir bien marché, nous sommes allés nous détendre au bain turc, au Çemberlitas Hamami, c’était pour moi le premier bain turc. Il se trouve que ce type de hammam me convient tout à fait, les saunas sont toujours trop chauds et les bains de vapeur étouffants, c’est toujours très dur pour moi de rester plus de cinq minutes. Aux bains turcs, la chaleur y est douce, bienveillante, le marbre chaud est presque sensuel, la voûte du plafond percée de hublots donne une ambiance contes des milles et nuits. Avez-vous le film Hammam de Ferzan Ozpetek ?

Festivals de seins, tétons, flancs, cuisses, jambes, camaïeux de peaux, et de poils détrempés.


J’adorai me verser de l’eau fraîche sur le corps avec le petit seau, sur le sommet du crâne, puis les épaules, sur le torse. C’est froid, presque trop, ça saisit et puis l’atmosphère vous réchauffe immédiatement, c’est carrément addictif, froid ! chaud... froid ! chaud... Tous ces hommes affalés sur le marbre, comme de gros lézards qui prennent la chaleur. Les serviettes de coton léger, enroulées autour des tailles cachent sans vraiment cacher. Elles sont presque rien, empesées d’humidité, elles laissent deviner des formes et autres courbures de fesses, des chutes de reins, des respirations lentes, des ventres vivants. Festivals de seins, tétons, flancs, cuisses, jambes, camaïeux de peaux, poils détrempés, tout cela est bien visible, il n’y a que cela à voir, que cela à halener.

En coin, j’observe le masseur qui malaxe les muscles avachis d’un homme tout abandonné à la quasi-luxure de cette friction. Le massé est plutôt bien foutu, petit, trapu, massif, tout en muscles et en poils, en poils noirs. Il se laisse manier la chair et les os, savonné, il disparaît sous la mousse onctueuse et blanche. Tout à mes rêveries de glissade sur grain de peau, presque hagard dans les effluves de testostérones, je me laisse aller dans cette toile d’Ingres, dans ce fabuleux bain turc, mais qui cette fois ne serait peuplé que d’hommes étrangers, de mâles aux rites charnels et inconnus. Je suis troublé.