lundi 22 février 2010

Flannerie à Istanbul (2/3)




C’est avec une peau toute neuve, rafraîchie, un corps tout entier rénové, qu’emmitouflés dans nos pulls et écharpes nous nous lançons vers l’extérieur de ce monde amniotique presque parfait. Nous partons affronter la rue, les bruits de moteurs de bus, les trottoirs surpeuplés, nous quittons le hammam. Nous sommes protégés d’une aura irradiante, d’un halo de chaleur rayonnante. Notre peau est devenue transparente, vaporeuse et légère comme celle des tableaux de Renoir, l’air nous pénètre, la vie s’immisce en nous, nous sommes régénérés par ce bain de jouvence. Nous y avons laissé des choses, nous n’y pensons plus.

Sur le chemin de retour vers l’hôtel, nous sommes happés par un porche avenant, le nez aux vents, nous nous avançons guidés par une odeur lourde et inconnue qui nous appelle. Sur la gauche de l’entrée des tisons brûlent, et puis un pas plus tard, nous accédons à une terrasse chauffée, drapée de kilims, tentures. Il y a là des tas de gens, des hommes mais pas seulement, affalés dans un dédale de canapés, de coussins et de tapis. Blottis les uns contre les autres, ils fument le narghilé, se racontent des trucs (de Turcs), boivent des çays et des cafés (à la turc). Dans le labyrinthe de divans, les serveurs slaloment et s’agitent, pour recharger les narghilés en charbons incandescents et distribuer les petits verres de thé qui valsent des plateaux vers les tables basses.

Un peu comme une fumerie d’opium, les corps se relâchent, les esprits se délassent.


Les yeux grands ouverts, je parcours du regard cet endroit incroyable, qui nous semble figé dans le passé, les bulles d’airs vrombissent dans le verre coloré des narghilés, l’atmosphère est imprégnée de vapeurs de tabacs sucrées aromatisées à la rose, à la fraise, à la cardamome… Étonnamment, l’air est particulièrement léger, tout à fait respirable, un peu enivrant. Nous prenons un siège, un sofa devrais-je dire, un sofa recouvert d’un tapis d’orient velouté, peut-être en soie ? Autour de nous, tout le monde fume, parle et boit… Un peu comme une fumerie d’opium, les corps se relâchent, les esprits se délassent.

En face un type nous sourit, d’un superbe sourire dont les Turcs ont le secret, un sourire qui nous dit venez, venez chez nous, venez chez moi. Il nous encourage à grands coups de sourire à joindre la dance, à grand coup d’humanité à prendre narghilé. Il nous invite à fumer le parfum des dieux, à partager l’encens qui exhale des alambics narguilés. Quel accueil ! Il est un peu rondouillard, petits doigts potelés, un peu à l’étroit dans son costume sombre et sa chemise blanche. Avachi dans son canapé, il est face à nous, les jambes un peu écartées, le paquet bien visible, sublimé sous l’étoffe de son pantalon. Divin objet de désirs, recouvert, mais à découvert. Nos regards se croissent, la tête en arrière, les muscles relâchés, il narghile à tue-tête. Il me fait penser à un Sultan, adepte du plaisir, capable d’extase, l’estomac et l’haleine saturés de miel de Baklavas. Je me dis qu’il se parfume sûrement à l’eau de fleur d’oranger, ou bien à la rose, cette fragrance s’accorde si merveilleusement à leur type de peau (je sais de quoi je parle). Nous commandons deux thés et un narghilé - comme le sien.

Le Sultan capable d’extase, s’adonne aux préliminaires. Le plaisir est plus grand pour celui qui sait attendre.


Il y aura pendant toute la durée de notre fumerie, quelques échanges de regards, aigus, chargés. Des regards lourds qui nous trahissent, avant que nous nous reprenions, de tous côtés. Il y aura aussi, quelques moiteurs séminales, quelques douceurs vives, ferventes, d’enthousiastes retenus, des deux côtés. Des amorces – érotiques – sans aucun doute. Mais nous en resterons là, des deux côtés. Le Sultan capable d’extase fait le choix de naviguer dans les eaux des préliminaires. Le plaisir est plus grand pour celui qui sait attendre. Comme je l’approuve. J’aurais voulu me prêter à ce jeu de séduction, le pervertir, le convertir… Tout en lenteur, sur plusieurs semaines, mois, années, années lumières. Une vie peut-être n'aurait pas suffi, j’étais prêt à continuer après.

J’étais prêt, à revenir dans ses lieux, à l’attendre, le raté de quelques minutes. À force de persévérance, gagner la complicité secrète des serveurs, pris de pitié par mon dévouement. Ne vivre que dans l’attente, brûler lentement et ardemment. J’aurais aimé y croire, avoir la foi, sans être sûr de rien. Attendre son bon vouloir. Esclave.

Il nous aurait fallu du temps, beaucoup de temps, pour finir par lui faire demander mes caresses, pour que ce saut dans l’inconnu, mes promesses, lui fasse transgresser ses interdits. Interdits sur lesquels il a tout construit, à commencer par lui même. Le chemin à parcourir était grand, immense, cette aventure ferait passer la grande Histoire du fruit défendu pour une anecdote, Adam et Eve pour des amants ordinaires. Le challenge était fou, à en perdre la raison, j’étais prêt.

Aliéné par l’osmose de nos vibrations, de nos âmes mêlées, je me serais laissé aller, de mes bras je l’aurais enlacé.


Dans l’inconscience suffocante des bouffées de fumigène, dans le no man’s land du rêve et de l’éveil, alléché par son odeur, je me serais immiscé dans son espace rapproché. L’esprit vague à l’âme, abandonné aux essences de son narghilé, relâché, il sourirait à la chaleur réconfortante de mon corps, là, tout proche de lui. Pour la première fois, je poserai ma tête sur son sein, emporté par le contact de mon visage sur le coton de sa chemise. Aliéné par l’osmose de nos vibrations, de nos âmes mêlées, je me serais laissé aller, de mes bras je l’aurais enlacé. C’est les atomes de nos corps qui nous guident, nous sommes sur des territoires primaires ou la raison n’existe pas encore. Ma main le caresse, je passe et repasse sur son ventre, ses jambes, ses seins, je prends tout ce qu’il m’offre, ne laisse rien. La température monte, mais je le sens frissonner, réagir, vivre. Je devine le grain de chair de poule qui cristallise à la surface de sa peau. Pendant tout ce temps, je ne m’étais pas trompé. J’y avais perdu le boire et le mangé, presque la vie, jamais je n’ai renoncé.

Enfin, j’arrive à son sexe, ma main explore, juge l’épaisseur des fibres du tissu de son pantalon, de son sous-vêtement. Il ne combat plus, ne résiste plus, il se dit à quoi bon, il se demande pourquoi il avait résisté si longtemps. Les dernières barrières et échafaudages de barricades sont tombés. L’univers se met en place, les planètes s’alignent, Dieu vient de nous donner la vie. Soudain je crois en Dieu, il existe, j’en ai la preuve.

Je sens la moiteur de son pénis, le visualise le sang chaud qui afflue par à-coups. Je passe sur ses bourses, ici l’hydromel s’active et s’échauffe. J’ai tout dans la main, J’ai son corps et son âme dans la main droite. Il s’offre à moi, me donne tout, son sang, son froutre. Il me donne tous ses battements de cœur, tel les perles d'un chapelet qui s'égrènent. J’ouvre sa braguette, les boutons coopèrent un à un. Je m'affole, mon énergie la première s’engouffre dans la brèche de son costume, mon élan fouille les couches d’étoffes. Seule la chaleur me guide. Premier contact. Contact avec sa peau, puis ses poils, et enfin la moiteur de son excitation. Dans un geste courbe je me saisis de son sexe. Ma main et son pénis se correspondent parfaitement, comme deux pièces usinées l’une pour l’autre. Contact intime parfait, fusion intime totale.

Un peu comme pour relancer l’effet d’un poppers qui se meurt, il tire sur sa pipe, se remplit de chaleur aromatique. Il laisse la fumée s’envoler vers le ciel, ses jambes s’écartent un peu plus, passivement il s’ouvre et se donne davantage à mes caresses. J’approche ma bouche de son sexe, au passage je m’enivre de l’odeur de son caleçon mâtiné d’odeur de chairs moites. Je loge son gland dans ma bouche. L'alliage de ma salive et de sa mouillance est idéal. Alors que son membre prend vie dans ma bouche, je pressens un sourire de plaisir sur son visage, ce même sourire dont il m’avait honoré lors de notre toute première rencontre. La boucle est bouclée, je le lui rends au centuple.

Il pleure de bonheur, il focus sur son sexe, ses couilles, son foutre, ma bouche, mon être.


Je vais et je viens sur son foutoir, je malaxe ses couilles à pleine main, il m’inonde la bouche de sa mouille… Il respire, respire encore, mais bientôt la petite mort le guette, des restes de fumée circulent dans ses poumons, se mêle avec son sang. Il pleure, il sent l’orgasme qui arrive, il pleure de bonheur, il focus sur son sexe, ses couilles, son foutre, ma bouche, mon être. Puis il perd le contrôle, la vague le submerge, sans rien maîtriser il lâche un cri de jouissance, un pleur. Son urètre se gonfle, le flot de sperme repousse mes doigts de sa verge, sa bite enfle et ouvre mes lèvres, son gland gonfle entre mon palais et ma langue, son violent crachat me cogne le fond de la gorge puis me remplit la bouche. Sa fragrance intime m’envahit les papilles. J’avale, j’engloutis, je lèche tout, ne laisse rien. Il me pause sa main chaude sur la nuque.